Visite en Dobrougea

Publié le par Pierre Macé

  Après avoir découvert la Transylvanie avec ma famille, je voulais leur montrer ma région, la Moldavie. Nous passons donc trois jours en Moldavie, visitons quelques monastères et montagnes environnantes, puis Iaşi. Je sais que ce n'est pas le genre de ville qui impressione au premier abord ou dont on peut avoir le coup de foudre, certains y habitent même pendant longtemps sans jamais s'y attacher. Mais moi, j'ai appris à l'aimer et c'est donc avec fierté que je l'a fait visiter à mes parents, mon frère et ma sœur. Nous faisons le tour de ma belle université, de ma forêt de quartier universitaire, du centre historique (qui possède plus de vestiges de l'époque communiste que des périodes antérieures), du Iulius Mall (le plus grand et impressionnant centre commercial de la ville), du jardin botanique, pour finir par une visite des quartiers d'habitations en blocs qui occupent les trois quarts de la superficie de la ville.
   Très vite, nous revoilà sur la route, en partance pour le sud; le delta du Danube et le littoral de la mer noire nous attendent. En chemin, je découvre que les judeţi (départements) du sud de la Moldavie, réputés pour ne pas détenir la moindre attraction touristique et pour leurs villes hideuses, industrielles et communistes, est en fait une très jolie région, où la campagne est belle, simplement, et apaisante. Ce sont des collines verdoyantes entourant une longue vallée dans laquelle de rares animaux paissent dans les prés. Tout semble abandonné. Les bois sont impénétrables, les champs sont en friche et rien n'y pousse à part de l'herbe folle. On ne croise personne dans les villages mis à part quelques vieux qui tiennent à peine sur leur canne pleine de boue. Pourtant, en regardant de plus près, ou plus attentivement, on aperçoit dans un terrain vague quelques enfants jouant au ballon, au loin, un paysan et son boeuf qui labourent la terre.
   La route, en parfait état, serpente dans la vallée et nous fait découvrir petit à petit la vie discrète et paisible de cette région où il ne vaut peut être pas le coup de s'arrêter visiter mais qui est agréable à traverser.

Un aperçu de l'entrée de ville de Galati

   Puis nous arrivons à Galaţi. Cette ville sur le Danube fait partie des six grandes métropoles de province (avec Iaşi, Cluj Napoca, Timişoara, Constanţa et Craiova) qui comptent entre 300 000 et 330 000 habitants (Iaşi). Pourtant, si on parle très souvent des quatre premières, villes clés de l'histoire et de la vie culturelle du pays, on ne mentionne quasiment jamais Galaţi (ni Craiova) et on sait immédiatement pourquoi dès que l'on approche de la ville. Une bonne dizaine de cheminées « style centrale nucléaire » et des douzaines de hautes cheminées fines nous accueille à l'entrée de l'agglomération, puis quand on arrive dans la ville même, on ne voit rien d'autre que des blocs, des blocs et des blocs. Même lorsqu'on arrive au bord du Danube, on ne voit rien qui soit joli et on n'a certainement pas l'envie de s'arrêter un instant sur les rives du fleuve. Alors on prend le bac; il nous fait traverser le fleuve, sortir de Moldavie et nous emmène dans le judet de Tulcea, dans la région du Dobrougea. C'est le judet (département) où le Danube se jette finalement dans la mer après sa longue course à travers le continent. Nous ne sommes qu'à quelques kilomètres de ce fameux delta, nous nous attendons à une région marécageuse mais surprise, nous sommes en réalité en montagne! Petite montagne soit, mais nous sommes tout de même étonnés.

Une cabane et une tour de ??? au milieu de rien dans le delta.
   Le lendemain, après une nuit à Tulcea, le chef-lieu du judet, nous embarquons sur un petit bateau pour une croisière privée sur le delta. Pendant quatre heures, nous serpentons à travers les multiples bras et canaux du fleuve, nous traversons de grands lacs. Les arbres plongent dans l'eau, les roseaux et les oiseaux font de même, voilà le paysage. Qui, parce qu'il pleut, qu'il vente et qu'il fait froid, nous paraît rapidement monotone. C'est avec soulagement que nous arrivons à Mila 23, un horrible village perdu au milieu du delta. C'est là que nous allons déjeuner, dans une famille de lipovènes, ce qui m'excite terriblement. Les russes-lipovènes, que l'on appelle aussi «vieux croyants » ne sont que quelques milliers dans les pays, presque tous isolés dans des hameaux du delta du Danube. Ce petit peuple vient de Russie. Après une réforme du culte orthodoxe dans le pays, ces hommes et ces femmes restés fidèles aux rites anciens furent persécutés par le pouvoir en place et émigrèrent vers des terres plus paisibles (un peu comme le firent les premiers colons anglais aux Amériques); ils atterirent ici, au milieu de nul part. Ils sont réputés pour n'avoir pas du tout cédé à la modernité et vivre dans les mêmes conditions que leurs ancêtres lorsqu'ils immigrèrent dans le delta (ils sont en quelque sorte les Amish roumains).

    Nous descendons de notre petite embarcation, marchons dix minutes dans le village en faisant très attention de ne pas glisser, le sol est terriblement boueux. Il y a des poules partout, le village est très sale, les gens habillés dans d'horribles combinaisons militaires ou survêtements mauves. Mais quelle déception lorsque nous arrivons dans la maison où nous prendrons le déjeuner, nous sommes accueillis dans une salle à manger moderne, avec des canapés en cuir, la télévision et l'ordinateur relié à internet. Et nos hôtes ne déjeunent même pas avec nous. Moi qui m'attendait à manger une soupe de poisson sortant tout juste de la marmitte autour d'un feu de cheminée, en essayant de parler roumain avec des gens ayant un accent abominable... Nous n'avons droit qu'à la soupe de poisson....
Mais nous revoilà vite parti pour quatre autres heures de bateau, sous le froid, la pluie, le vent, à admirer des paysages un peu monotones. Beaucoup de gens apprécient la visite du delta, en ce qui me concerne, je suis juste tombé malade et me suis un peu ennuyé...
(Photo de gauche: remarquez que les communistes n'ont pas oublié le delta et y sont allé planter des blocs!)
    En revanche, si je m'attendais à être enchanté par le delta (mais je ne le fus pas), je ne m'attendais à rien pour ce qui est du reste de la région du Dobrougea. Or l'intérieur des terres et le littoral offre beaucoup d'agréables surprises et j'ai passé une excellente journée à visiter la région en allant de Tulcea jusqu'à Constanţa, ville principale de la côte roumaine.
Après avoir visité la petite ville de Babadag (ville où se côtoient les communautés rom et musulmane) et sa jolie mosquée, nous prenons la route vers la citadelle d'Enisala au bord du grand lac Razim. Ce n'est pas vraiment une destination touristique courue et la route pour y accéder est difficile à trouver. Grâce à notre guide, nous savons qu'il faut « tourner à droite et prendre un petit chemin de pierres roses ». Nous roulons sur la bonne route, tout d'un coup, un chemin de pierres roses, à droite. On ne voit absolument pas où il mène et il n'y a bien sûr aucune indication. Il a simplement l'air d'accéder à une quelconque ferme. Nous l'empruntons néanmoins et arrivons au pied d'une petite forteresse en ruine située sur une colline.



   Il ne semble y avoir personne. Nous passons entre les ruines, rencontrons un homme bourru qui nous demande 2 lei pour l'entrée (50 centimes d'euro), et nous fait la visite. Après une demi-heure de visite, il sort d'une cabane un énorme panneau explicatif, en anglais et en roumain, sur l'histoire de la citadelle. Il semble y avoir tellement peu de touristes que ce panneau d'information n'est accroché nul part et on le sort au besoin. Dans la citadelle elle-même, il n'y a pas grand chose à voir. Juste quelques pierres, des chiens errants (bien sûr) et le cheval qui traîne la charrette avec laquelle notre guide vient au travail! Mais la colline surplombe toute la région et offre un magnifique point de vue. Notre guide ne doit pas gagner beaucoup, mais il doit avoir des journées incroyablement paisibles et calmes.


    Nous continuons notre chemin sur des routes abominables. Nous n'avançons pas à plus de quinze kilomètres heures sur plus de dix kilomètres et arrivons à Jurilovca, un des rares village lipovène ne se trouvant pas dans le delta. Mais le village a l'air plus isolé qu'un village situé à quatre heures de bateau de la ville la plus proche, les gens sont rustres et en ont tout à fait l'air dès le premier regard. Nous mangeons dans le « restaurant » du village, où les prix sont les plus bas que j'ai trouvé en Roumanie (La bière est à 2 lei! Beaucoup moins cher qu'ailleurs).

    Nous repartons vers le sud et nous arrêtons visiter Hristria, la première ville construite sur le territoire roumain. La cité fut fondée il y a des dizaines de siècles par les grecs puis habitée par les romains. L'endroit est émouvant, c'est un mini-Pompeï, mais les vestiges sont moins impressionnants. Tout de même, cette promenade dans le plus important site archéologique antique du pays est intéressante. Il s'agit d'une ville gréco-romaine, si j'ai le temps, j'irais visiter à l'ouest du pays l'autre grand site antique roumain, la capitale des daces (qui sont aux roumains exactement ce que sont les gaulois aux français).




   Nous arrivons dans la soirée à Constanţa. La ville n'est pas très jolie, et est bien loin de rivaliser avec les grandes métropoles de la côte méditerranéenne. Le centre est quasiment à l'abandon, il n'y a aucune esplanade le long de la côte, mais la ville semble regorger d'endroits où sortir (quand on n'est pas en visite avec ses parents!).
Le lendemain, nous visitons les stations balnéaires de la côte (au sud et au nord de Constanţa), ce sont des villes du même genre que La Baule en France, en plus pauvre. À Mamaia cependant (il s'agit de la plus grande station balnéaire du pays, là où on frime), la route ne borde pas la plage, elle est plus en retrait, les hôtels et les terrasses de leurs restaurants, eux, donnent directement sur la plage.
Il est temps pour ma famille de rentrer en France, après je crois un beau voyage, nous prenons l'autoroute vers Bucureşti, une des deux seules autoroutes du pays, qui n'est pas encore finie. Le paysage est incroyablement plat, vert, monotone; les aires de repos sont toutes absolument identiques, d'immenses parkings, un petit bâtiment de béton, bleu où se trouvent les toilettes. Vingt lampadaires, aucun arbre.
Nous passons une dernière soirée dans la capitale, je leur fais découvrir des quartiers qu'ils n'avaient jamais vu, où se trouvent les bâtiments les plus anciens. Le lendemain, je vais à l'ambassade de France faire ma procuration pour les élections européennes, conduit mes parents à l'aéroport, leur souhaite bon voyage, puis je rentre à Bucureşti, fonce au « Spitalul de urgenţa » de l'hôpital Florească (que je connais déjà pour m'y être fait vacciner contre la rage!). Je suis de plus en plus malade depuis ma visite dans le delta. Le service d'urgences de l'hôpital fait franchement tiers-monde. Le docteur n'est pas sûr du tout de son diagnostic, me file la dose d'antibiotiques et me dit qu'il y a en gros 50% de chances qu'il se soit trompé et que si dans deux-trois jours, je ne vais pas mieux, il faudra que j'aille à l'hôpital à Iaşi, pour me faire opérer.... Petit flip! J'ai un tout petit peu eu envie de retourner à l'aéroport et prendre le prochain avion pour Paris! Mais je suis rentré à Iaşi par le train du soir et bizarrement, les sept heures de trajet ont été beaucoup plus longues que les trente pour aller à Istanbul!
Deux-trois jours plus tard, les antibiotiques avaient fait leur effet... C'est presque bête, j'étais à deux doigts de parfaire mon expérience des hôpitaux roumains!
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